Quelle place donner au végétal sur un site industriel comme USIN ? Quel sens donner à sa présence ? Sous quelle forme et pour quels usages ? Autant de questions auxquelles Anne Gardoni, de l’atelier du même nom, prend le temps de répondre, en tant qu’architecte paysagiste en charge du volet Paysage du site USIN.
Quelle est la nature de votre intervention sur le site USIN ?
Anne Gardoni : Avec Christophe Cottarel, architecte paysagiste chez Nymphea, nous nous consacrons à la renaturation du site, ainsi qu’à l’aménagement des cheminements et des espaces de détente, en prenant en compte le bien-être des usagers. Le Groupe Siaf, mandataire du projet, en assure la réalisation technique. Synapse gère les réseaux d’alimentation des bâtiments et Burgeap la dépollution des sols. Voilà pour l’équipe au grand complet qui intervient sur les extérieurs.
Quels défis représente pour vous le site USIN ?
AG : Tout d’abord il s’agit d’un site industriel situé en ville qui se transforme en… site industriel. C’est suffisamment rare en France pour le souligner. Cela pose la question du comment. Ensuite, c’est un site qui s’inscrit dans une démarche écoresponsable. Vous me direz, planter des arbres c’est en soi développement durable. Oui à condition de ne pas tout casser pour repartir à zéro, ce qui entrainerait un bilan carbone peu glorieux. Le plus grand défi, qu’USIN incarne et à qui les équipes de la SERL donne forme, est la frugalité. Cela signifie partir de ce qui est en place – les bâtiments, d’autres à venir, la voirie, les espaces déjà verts – pour redonner du vivant au site. Aujourd’hui, USIN est un site industriel, héritage de Bosch, très bien entretenu, très propre, avec une organisation très rationnelle. Demain, on devra aussi y retrouver du vivant à travers des espaces extérieurs que les gens vont pratiquer, habiter, utiliser. Mais pas que, la faune et la flore devront aussi pouvoir s’y épanouir, au nom de la biodiversité.
Qu’en est-il de la qualité des sols ?
AG : USIN est minéral sur les espaces exploités, avec des espaces verts très entretenus, presque trop. Résultat, les sols sont pauvres. Il faut d’abord les re-fertiliser pour permettre au végétal de se développer dans de bonnes conditions. Nous travaillons à partir de l’analyse microbiologique des terres du site pour identifier les carences et apporter des amendements nécessaires aux terres in situ. Ce procédé de bio-dynamisation des sols nous permettra d’identifier les micro-organismes indispensables à la fertilisation des sols. Par souci de frugalité, ces terres ne seront pas évacuées, ce qui évitera en plus des norias de camions (rotation évitée de plus de 300 poids lourds). Dès lors qu’une tranchée sera réalisée, les terres récupérées seront stockées sur site et réutilisées pour former un vallonnement. USIN sera donc un site végétalisé et vallonné.
Autre point important : les longues allées en enrobé. Comme elles seront entièrement piétonnisées, nous allons pouvoir casser ces perspectives stériles. Comment ? Là encore notre intervention sera limitée au strict nécessaire. Nous allons donc cisailler les enrobés pour permettre à la végétation d’émerger. Le sol sera ainsi moins imperméable aux eaux de pluie et les « usagers » gagneront en plaisir visuel.
Quelle place sera donnée au végétal ?
AG : Nous voulons rendre le végétal prédominant. Un écrin à partir duquel tout devient possible. Car nous sommes convaincus que la fonction de site industriel peut être compatible avec un aspect beaucoup plus paysager, plus humanisé où la biodiversité a toute sa place. Nous allons constituer des micro-forêts de jeunes plants d’essences rustiques et variées, adaptées à nos latitudes. Ils seront plantés serrés pour qu’ils se protègent les uns les autres et grandissent ainsi plus vite. La première micro-pépinière sera lancée ce printemps, avant le démarrage des travaux des nouveaux bâtiments. L’évolution se fera dans le temps, mais l’objectif est de transformer le site avec des fleurs, des vivaces sauvages, qui marqueront les saisons, de la jachère fleurie pour limiter au maximum l’entretien. Les arbustes ne seront pas taillés. Ce sera une création végétale spontanée et libre, propice à l’éclosion de nouveaux usages en extérieur.
De quelle nature seront ces nouveaux usages ?
AG : Sur un site industriel classique, les espaces extérieurs servent uniquement à se rendre d’un point A à point B en toute sécurité. On ne fait que rarement attention aux arbres et aux fleurs que l’on croise. C’est un décor. Une fois arrivé au sein de son entreprise, le salarié ne circule que rarement sur le reste du site, sauf pour se rendre au restaurant inter-entreprises (RIE). C’est le point de rencontre potentielle entre les salariés des différentes structures. On s’y rend pour prendre un café, déjeuner et c’est tout. Notre ambition, c’est que les espaces extérieurs deviennent une extension du RIE, des « pièces en plus » dans lesquelles pratiquer un sport, du jardinage entre midi et deux ou juste se détendre. Un endroit où s’installer pour travailler autrement. Des espaces propices à des échanges informels ou à une activité commune entre collaborateurs des différentes entreprises présentes sur le site. Notre rôle est de poser un cadre dans lequel tout cela doit pouvoir devenir possible. Au départ, ce sera assez simple avec quelques tables, des bancs, placés sous les arbres ou à la croisée des chemins. C’est avec le temps et l’appropriation du site par les usagers que vont se constituer des endroits où l’on aura envie de se rendre. Une dynamique intimement liée à la gestion globale du site où notre rôle est de créer, encore une fois, les possibles…
Qu’est-ce qui vous motive particulièrement dans ce projet ?
AG : De le prendre à l’opposé des projets traditionnels. Habituellement, on rase tout et l’on crée des espaces extérieurs que l’on se contente ensuite d’entretenir. En ayant une démarche de frugalité, on conserve tout ce que l’on peut garder du site initial et on opère des interventions ciblées dans la durée qui vont dessiner au fil du temps un site industriel totalement nouveau. Les règles strictes de sécurité et d’hygiène ne sont pas incompatibles avec un environnement extérieur où la végétation génère de la douceur, de la spontanéité, avec sa manière de prendre le vent et de marquer les saisons. En outre, ce site s’inscrit dans un paysage urbain dans lequel il se donne à voir. La seule image qu’il renvoie, au-delà des bâtiments dont l’activité industrielle est précieusement préservée des regards, est celle de ses extérieurs. L’autre point essentiel est de savoir quelle sera la contribution du site pour son environnement urbain direct et au-delà ? Sur le volet paysager, j’en vois deux. Une contribution écologique, en luttant contre les îlots de chaleur caniculaire en été et en favorisant la réintroduction de la biodiversité en ville. Et un modèle inspirant en montrant qu’une autre façon de vivre dans un environnement de travail industriel est possible.
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